Les tracteurs ont convergé vers le Centre de Clermont Ferrand et vers la place Bellecour à Lyon jeudi 25 mars 2021. Les éleveurs du Massif Central en colère venaient manifester leur opposition au projet de nouvelle PAC et faire entendre leur inquiétude aux citadins.
Crédit photo : Théo Jaussent
Alors que le 6 mars dernier, le gouvernement avait annoncé l’allocation d’une enveloppe d’urgence de 60 millions pour venir en aide aux élevages bovins allaitants en crise, les premiers scénarios du Plan stratégique national français, sortis quelques jours plus tard, semblent au contraire diminuer le soutien aux éleveurs bovins. Qu’en est-il exactement ?
La réforme de 2014 avait permis de réorienter une partie des aides de la PAC vers les productions animales et les zones de montagne : par les aides aux parcours et aux zones de pâturage, par la convergence des aides et le paiement redistributif (resté bloqué depuis 2016 à 50€/ha pour les 52 premiers ha), par la revalorisation de l’indemnité compensatrice pour les handicaps naturels (ICHN), et surtout par les aides couplées autorisées sur 15% du budget du premier pilier qui, en France, ont été dirigées vers l’élevage (dont 2% sur les cultures protéiques destinées à l’autonomie fourragère des élevages). Au sommet de l’élevage à Cournon d’Auvergne en 2013, le président François Hollande avait ainsi annoncé la redirection de plus d’un milliard d’euros vers les éleveurs. Cela a permis de maintenir un secteur souvent en difficultés car positionné sur des marchés peu rémunérateurs. Lorsqu’on recalcule le montant total des aides du premier pilier (aides découplées et aides couplées) additionnées à l’ICHN et qu’on le redivise par le nombre d’hectares éligibles, les montants moyens les plus élevés, au-delà de 300 ha /ha, sont observés dans les départements du massif central, là où l’élevage bovin extensif prédomine (estimations SIDAM données ASP et France Agrimer 2020) et sans pour autant assurer un revenu correct. On comprend donc que les éleveurs s’inquiètent d’une nouvelle règle de distribution des aides couplées.
Focus sur les aides couplées (voir aussi tableau récapitulatif ci-dessous)
Une des propositions du Ministère est de doubler la part allouée aux aides couplées pour la production de protéines végétales, qui monterait ainsi à 4 % de l’enveloppe des aides couplées pour la France, forcément au détriment d’autres aides couplées. L’idée est d’ajouter aux 2 % actuels pour les légumineuses fourragères 2 % pour la production de légumineuses sèches pour la consommation humaine. Ceci représenterait une baisse d’environ 16 % de l’enveloppe des aides couplées aux ruminants.
Une proposition complémentaire est de réformer les aides couplées aux ruminants pour les attribuer à l’UGB bovins, mâles et femelles, et sans différencier les vaches laitières des vaches allaitantes. L’idée est de donner plus de souplesse aux éleveurs dans la gestion de leurs troupeaux, d’inciter à l’engraissement en primant aussi les mâles et de ne pas privilégier un système sur un autre. Cela génère cependant de grandes inquiétudes pour les éleveurs de vaches allaitantes qui anticipent des pertes importantes par rapport aux montants actuellement perçus puisqu’il faudra répartir les budgets actuels sur un plus grand nombre d’animaux éligibles.
Pour ne pas encourager l’agrandissement des troupeaux, un plafond à 100 UGB bovines de plus de seize mois est proposé. Ce plafond inquiète cependant les éleveurs de grands troupeaux allaitants (possiblement extensifs) qui sur 2014-2020 pouvaient toucher des aides jusqu’à la 139ème vache. A partir d’une estimation rapide issue du recensement agricole de 2010, 11% des exploitations avec des bovins dépassaient à l’époque les 100 UGB bovins. Ces exploitations se situaient à l’époque principalement dans les régions Aquitaine, Midi-Pyrénées et Rhône-Alpes. Ajoutons également qu’il n’a pas été précisé si la transparence des GAEC serait proposée.
Enfin, les aides seront accordées pour un chargement maximum de 1,4 UGB/ha de surface fourragère. Dans les aides couplées à l’élevage ruminants de la PAC 2014-2020, il n’existe pas de condition de chargement. Cela risque donc d’avoir de fortes répercussions sur la conduite des élevages intensifs comme peuvent l’être certains élevages engraisseurs ou laitiers voire même certains élevages naisseurs-engraisseurs. Même s’ils ont des surfaces fourragères, ces derniers partagent leur surface agricole avec des surfaces en céréales et finissent à la fois des bovins mâles et femelles. Ils ont donc bien souvent plus d’animaux sur l’exploitation et moins d’hectares de surfaces fourragères que les naisseurs. Le chargement de ces exploitations peut aller jusqu’à 1,9 (pour ceux qui achètent de l’aliment à l’extérieur).
Les propositions de la DGPE du Ministère de l’agriculture ont été discutées avec les syndicats agricoles (FNSEA, Modef, Confédération Paysanne et Coordination rurale), les chambres d’agriculture, des ONG, et les associations de consommateurs. L’aide à l’UGB bovine est issue par exemple d’une proposition de la Confédération Paysanne. Cette proposition a suscité de nombreuses réactions des parties prenantes car elle aura des conséquences dans la redistribution des aides entre les élevages de ruminants, même si, à ce stade, il est encore difficile d’estimer les impacts que pourrait avoir cette mesure.
Ses points positifs résident dans le soutien à l’engraissement extensif et l’autonomie fourragère dans une perspective aussi de réduction des émissions gaz à effet de serre (car le bilan maintien des pâturages permanents qui permet de stocker du carbone versus l’augmentation du cheptel ruminant sur ces mêmes pâturages, qui accroit les émissions de méthane, n’est pas forcément avantageux). Elle permettrait aussi de limiter les exports de broutards vers l’Italie et de recentrer la production sur la consommation française. Elle assurerait également un maintien de l’élevage laitier extensif qui avec la fin des quotas laitiers peut aujourd’hui être en difficulté.
Enfin, toute la difficulté de la construction du PSN réside dans les compensations croisées entre mesures. Le Ministère propose donc plusieurs scénarios pour chaque grande catégorie de mesures : le scénario d’une baisse des aides couplées sur les ruminants pourrait être en partie adouci par l’adaptation de l’aide redistributive ou par un ecoscheme centré sur la préservation des systèmes herbagers. Tout résidera dans l’équilibre qui sera trouvé, répondant forcément à des rapports de force entre différents secteurs de l’agriculture, mais qui ne devra pas perdre de vue les objectifs d’amélioration de l’environnement et d’équilibre des territoires.
Le tableau propose un récapitulatif du système actuel et des évolutions proposées.
*Calcul d’UGB : Taureaux, vaches et autres bovins de plus de 2 ans et équidés de plus de 6 mois = 1 UGB ; Bovins entre six mois et deux ans = 0,6 UGB ; Bovins de moins de six mois=0,4 UGB
*transparence GAEC = les plafonds sont remontés au prorata du nombre d’associés et des parts qu’ils possèdent
Pour en savoir plus,
vous pouvez lire le livre blanc des Massifs français sur la PAC en zone de montagne