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Les écorégimes de la PAC de 2023 : accords à Bruxelles et tensions à Paris

 

Les super trilogues de mai et juin 2021

 

Après des années de négociations, le bout du tunnel semble enfin proche.

 

Mise sur la table au 1er juin 2018 par la Commission européenne, la nouvelle PAC pour 2023-2027 devrait voir le jour suite aux trilogues, jumbo-trilogues, super-trilogues de mai et juin juste avant la fin de mandature du Portugal à la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (la Slovénie prend la relève au 1er juillet). Les dernières négociations entre la Commission européenne, le Parlement européen, et les 27 ministres de l’agriculture du conseil de l’Union européenne ont été longues et difficiles. Les ministres de l’agriculture doivent dès lundi 28 juin donner leur feu vert sur l’accord trouvé. Pour Peter Jahr, député européen allemand (PPE) rapporteur du règlement sur les plans stratégiques nationaux, cette réforme de la PAC est la plus importante depuis la réforme MacSharry de 1992.

 

On attendait des négociations compliquées sur la conditionnalité sociale dans l’attribution des aides aux agriculteurs (des conditions de travail et d’emploi figurent effectivement dans l’accord obtenu, mais elles ne prennent pas en compte le travail saisonnier). Mais c’est surtout la nouvelle architecture verte de la PAC, et notamment la part en pourcentage du budget du premier pilier attribué aux écorégimes qui a été la principale pierre d’achoppement. Au conseil de l’Union européenne, les ministres de l’agriculture ont avant tout cherché à garder une flexibilité nationale forte et à rester le plus proche possible de l’enveloppe basse des 20% tandis que le Parlement défendait un cadre européen plus fort avec une enveloppe à 30% et des écoregimes qui marquent une vraie différence en terme de pratiques et d’impact environnemental.

Le résultat des négociations ? Les écorégimes devront représenter en moyenne 25% par an des paiements directs de la période de programmation de la PAC 2023-2027 avec la possibilité de n’y consacrer que 20% en 2023 et 2024 mais en compensant sur les années suivantes par le renforcement du budget des écorégimes ou de celui d’autres mesures environnementales.

 

Tensions à Paris sur les écorégimes

 

On retrouve les mêmes oppositions en France : le dispositif des écorégimes va trop loin pour les uns et pas assez pour les autres.

La FNSEA plaide pour une « mise en œuvre pragmatique de l’architecture verte et l’absence de charges administratives supplémentaires » (extrait du communiqué de la FNSEA). Elle argumente qu’il faut laisser aux agriculteurs le temps de la transition, que beaucoup d’efforts ont déjà été fournis, et qu’il ne faut pas menacer la compétitivité française face à d’autres Etats-membres qui pourraient se révéler bien moins exigeants sur l’environnement. En face, la Confédération paysanne et de nombreuses associations de la société civile et de défense de l’environnement rappellent qu’il faut une réforme plus ambitieuse et une déclinaison française du Plan Stratégique National (PSN) qui soit susceptible d’entrainer une vraie transformation des systèmes agricoles vers l’agroécologie, qui récompense et soutienne les agriculteurs qui fournissent déjà des services écologiques, notamment l’agriculture biologique, et qui soit plus juste dans la répartition des aides. Revenons sur le contenu de la première version du PSN en matière d’écorégimes.

 

Les premiers arbitrages français sur les écorégimes

 

Rappelons que 25% des aides directes du premier pilier seront désormais réservées aux exploitants qui entrent volontairement dans un dispositif d’écorégime. Les écoregimes sont une manière de réorienter les aides à l’hectare du premier pilier vers les agriculteurs qui font des efforts en faveur de l’environnement, ce qui, mécaniquement, réduit les aides de base pour tous les autres. Tout le succès de ce dispositif repose sur le niveau d’exigence des écorégimes proposés par le PSN. C’est là que le bât blesse. Le Ministère a annoncé qu’il souhaitait des écorégimes « inclusifs et non discriminants », « accessibles à tous », et « simples ». Autrement dit, que tous les systèmes de production, et tous les exploitants puissent avoir la possibilité d’entrer dans un des écorégimes proposés et ainsi maintenir leur enveloppe d’aide. Mais une telle promesse ne peut se tenir sans introduire plusieurs niveaux d’exigence dans les cahiers des charges. C’est ce qu’a prévu le Ministère. Les écorégimes proposeront deux niveaux : un niveau de base, et un niveau supérieur ainsi que trois voies d’accès possibles : les pratiques, la certification environnementale, et les infrastructures agroécologiques.

 

 

 

Ainsi, le label Haute valeur environnementale (HVE) permettra de bénéficier des aides des écorégimes, au même titre que l’agriculture biologique (AB). Cela a déclenché l’exaspération des agriculteurs bio et des défenseurs de l’environnement qui pointent une note confidentielle de l’Office française de la Biodiversité sortie récemment indiquant que les bénéfices environnementaux de la certification HVE sont faibles, voire nuls (voir aussi le rapport de l’IDDRI). Les agriculteurs bio sont d’autant plus inquiets qu’il a été décidé que les aides au maintien à l’AB ne seraient pas renouvelées. Elles concernent 9000 agriculteurs aujourd’hui. Le choix du ministre a été d’augmenter l’enveloppe globale de conversion à l’agriculture biologique (elle sera de 340 millions d’€) dans le but de soutenir 20 000 futurs installés en bio et d’atteindre ainsi 18 % de surface agricole utile en bio d’ici 2027. D’après les estimations de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), la perte pour les producteurs en AB serait en moyenne de l’ordre de 66% de leurs aides soit 132€/ha. Dans ce calcul, la FNAB retire les montants de l’aide au maintien et estime la perte due au remplacement du paiement vert (les exploitations en AB étaient considérées comme vertes) par l’écorégime.

 

Pourquoi les écorégimes génèrent-ils tant de tensions ?

 

Ces positions de demi-mesure proposées par le Ministère de l’agriculture s’expliquent principalement par le jeu subtil des équilibres qu’il essaie de trouver entre différents acteurs de la filière, et par les tensions qu’il doit résoudre :

  • tensions entre des revenus souvent fragiles, soumis aux chocs externes (prix, accident météo), et très dépendants des aides (en 2019, les aides directes représentent 74% du revenu des agriculteurs) et les coûts de la transition environnementale à supporter. Même si un grand nombre de travaux scientifiques (comme ici) montrent qu’à terme pratiquer une agriculture plus agroécologique peut se révéler plus rentable qu’une agriculture plus intensive et plus dépendante des intrants chimiques, il existe des coûts à la transition : apprentissage, perte de rendements les premières années car il faut reconstruire des sols fertiles et des services écosystémiques, perte de surface productive car il faut en dédier une partie à des espaces naturels. Les écorégimes devraient avoir pour but de financer cette transition mais aujourd’hui, ce n’est pas de l’argent en plus, mais de l’argent redistribué à ceux qui s’engagent dans ces efforts, ou les ont déjà accomplis. C’est donc une perte de revenu sèche pour les autres.

 

  • tensions sur le principe de non-retour en arrière: il s’agit là de s’assurer de protéger les acquis et de financer la transition vers l’adoption de nouvelles pratiques. Ceux qui ont déjà engagés des efforts (comme les agriculteurs bio aujourd’hui) ne comprennent pas pourquoi ils ne pourraient pas être financés pour le maintien de ces efforts, tandis que ceux qui n’en n’ont pas encore faits seraient particulièrement aidés. Ce n’est pas simple car si on vise l’amélioration environnementale face à l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité, il faudrait plutôt cibler les seconds surtout si on pense que les pratiques plus durables vont se maintenir mais est-ce juste ?

 

  • tensions entre simplicité dans l’administration des aides, accessibilité des écorégimes au plus grand nombre et nécessité de construire des écorégimes ajustés aux besoins de l’environnement : 25% des aides du 1er pilier destinées à l’écorégime, c’est environ 2 milliards chaque année à distribuer. Les agriculteurs et les services de l’Etat ne souhaitent pas et ne  peuvent pas assurer beaucoup plus de paperasses, de justificatifs, de contrôles, forcément plus lourds dans un système qui serait plus ajusté aux contraintes et besoins locaux.

 

  • la PAC est enfermée dans la structure de ses instruments d’interventions : on ne part pas d’une feuille blanche, tout ajustement implique des gagnants et des perdants qui se mobilisent fortement. Il est donc difficile, voire politiquement impossible, et socialement non souhaitable de mettre en place une transformation radicale de la PAC, telle qu’elle est demandée par certains acteurs de la société civile. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas bouger plus vite cependant : dans cet exercice de réforme, la réforme agricole assez radicale que s’apprêtent à mettre en œuvre les Britanniques pourra être un bon test.

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Où en est-on sur le PSN français ?

 

La première version du PSN français, destiné à répartir l’enveloppe annuelle de 9 milliards d’euros entre les 450 000 exploitations agricoles françaises a été officiellement présentée par Julien Denormandie le 21 mai 2021. Le Ministre a défendu la « stabilité sans immobilisme », une manière d’exprimer sa difficulté à trouver un compromis qui pourrait satisfaire tout le monde et a mis l’accent sur « une production qualitative » défendant l’idée que la qualité a un coût et qu’il faut la rémunérer. Il a également échangé sur cette première version du PSN avec des citoyens le 7 juin dernier pour conclure le débat ImPACtons! conduit par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Maintenant que les négociations bruxelloises ont abouti, les plans de financement des PSN pourront être finalisés. Cela va engendrer de nouvelles négociations à l’échelle nationale et ce n’est pas certain que le Ministère de l’agriculture français arrive à finaliser le PSN comme prévu avant l’été.

 

 

Pour aller plus loin

Le PSN présenté le 21 mai 2021 est disponible ici

La liste des éco-régimes proposée par la Commission européenne aux Etats-membres en janvier 2021 est disponible ici

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