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C’est parti pour les trilogues de la future PAC

La PAC a été le sujet chaud de l’Europe lors de la troisième semaine d’octobre. Le Conseil a voté sur les 3 textes réglementaires (Plans stratégiques nationaux, Organisation Commune de Marchés, et Règlement horizontal) de la future PAC le 21 octobre, après de longs débats. Le Parlement européen réuni en plénière a, quant à lui, voté sur une version un peu différente de ces projets de règlements le 24 octobre, sous la pression très forte des organisations de la société civile, très mobilisées. L’étape suivante est donc celle des trilogues, rassemblant les représentants du Conseil, du Parlement, et de la Commission. Lancés le 10 novembre, les réunions des trilogues ont pour objectif de trouver un terrain d’entente pour faire converger avant juin 2021 les différentes versions des textes votés vers 3 règlements définitifs, et ainsi pouvoir mettre en application la nouvelle PAC au 1er janvier 2023, puisque deux années de transition ont été votées.

Ces deux votes ont déclenché une vague de réactions hostiles, dénonçant un projet de PAC trop peu innovant et incapable, dans sa version actuelle, de contribuer aux objectifs ambitieux du Green Deal et de ses déclinaisons dans les stratégies de la Ferme à la fourchette et Biodiversité annoncées par la Commission en mai 2020. On a assisté dans les médias et sur les réseaux sociaux à une surenchère de propos alarmistes. Les ONG environnementales ont parlé du « baiser de la mort » de la PAC au Green Deal, Greta Thunberg a qualifié le projet de PAC comme un magnifique exemple de greenwashing (« Greenwashing at its finest »), Friends of the Earth Europe décrivent la semaine du 21 octobre comme l’une des pires pour l’avenir de l’agriculture dans l’histoire (« a historically bad week for the future of farming”), Greenpeace a appelé à jeter la PAC actuelle aux oubliettes et à recommencer entièrement le processus législatif (“scrap the CAP and restart the legislative process”).

 

Beaucoup d’associations de défense de l’environnement, du bien-être animal et consommateurs s’étaient d’ailleurs unies quelques semaines auparavant pour mener une campagne d’influence auprès des députés européens, leur demandant de ne pas voter ce projet de PAC (#VoteThisCapDown) et de proposer une remise à plat complète (voir la proposition de la plateforme Pour Une autre PAC et l’analyse Impaacte proposée entre autres par Greenpeace Belgique et WWF Belgique). Ils ont été suivi dans cette campagne par certains députés verts comme Benoît Biteau qui diffuse un dossier de presse intitulé « La PAC de la honte« . En face le Copa-Cogeca, représentant une coalition des principaux syndicats agricoles en Europe, s’oppose à cette analyse, récuse les accusations de greenwashing, et argumente que la PAC a déjà des exigences élevées qui rend l’agriculture européenne moins compétitive sur le marché mondial et qui rogne le revenu déjà trop faible des agriculteurs (voir leur communiqué de presse).

Quelles sont donc les grandes lignes qui viennent d’être votées et quels sont les désaccords qu’il faut résoudre entre les positions du conseil et du Parlement ? Quels sont les éléments qui renforcent le pessimisme sur le futur bilan environnemental de cette PAC post 2020, et peut-on y trouver quelques raisons d’être optimistes ? Quels sont les autres aspects de la PAC qui ont été peu discutés par les ONG environnementales mais qui sont aussi importants à souligner ?

 

Les principaux points d’accord

 

Le processus de réforme de la PAC fondé sur le principe de codécision est long et complexe. Il l’est encore plus particulièrement cette fois ci, du fait des élections du Parlement européen en mai 2019 et du renouvellement de la Commission européenne à partir de juillet 2019, de la négociation sans fin du Brexit et plus récemment de la crise sanitaire. Les grandes lignes établies dans la proposition de paquet législatif de juin 2018 de la Commission européenne n’ont cependant pas bougées : le principe du « new delivery model » (nouveau modèle de mise en oeuvre) a été acté assez rapidement. Cela marque un changement de philosophie sur le modèle de mise en œuvre de la PAC : chaque Etat membre gagne en responsabilité et en flexibilité. Il doit construire un plan stratégique national (PSN) sur 7 ans, intégrant les deux piliers, et répondant aux 9 objectifs de la PAC, avec des ambitions chiffrées et vérifiables. C’est sur la base de ce PSN, qui doit être approuvé par les services de la Commission européen, que ses performances seront évaluées. S’il s’écarte trop en deçà des valeurs cibles qu’il s’est données en matière de résultats, il peut subir une suspension ou une réduction des fonds versés par l’UE, ou dans le cas contraire recevoir une « prime » de performance. Les enjeux à la fois en terme de fixation des objectifs à atteindre, et d’indicateurs pour les mesurer, sont donc importants, le risque étant de voir les Etats membres s’engager dans une course au moins disant pour éviter les sanctions. Autre nouveauté : un certain pourcentage des aides directes du premier pilier sera réservé à des éco-régimes, obligatoires pour les Etats membres mais dans lesquels les agriculteurs s’engagent volontairement, et reçoivent donc une partie de leurs aides directes en contrepartie d’efforts environnementaux supérieurs à ceux déjà exigés dans la conditionnalité. Là aussi, la définition du contenu des eco-régimes, qui s’inscrit dans les PSN, est l’objet de nombreuses tractations notamment sur le niveau d’exigence environnementale qui sera fixé.

Les principaux points de désaccord entre Commission, Parlement et Conseil

 

C’est dans le Règlement Plans Stratégiques Nationaux que les divergences les plus fortes se sont faites sentir entre Etats membres, notamment sur l’architecture verte de la PAC : quels sont les financements à flécher sur l’environnement et le climat ? Faut-il un budget minimum du 1er pilier à réserver sur l’éco-régime ? On trouve aussi des différences fortes entre Parlement et Conseil sur la redistribution des aides et sur la gestion des risques. Les tableaux suivants détaillent les propositions votées sur ces points.

Dans le règlement OCM, il y a eu moins de questions véritablement conflictuelles sauf sur les modalités de gestion de crise. Le rapport Andrieu (Eric Andrieu est le député européen rapporteur pour le Règlement OCM) a proposé notamment que les secteurs en crise recevant une aide de l’UE pour freiner une baisse brutale et drastique des prix s’engagent en contrepartie à baisser leur production. Une telle proposition est loin de faire l’unanimité. Le Règlement horizontal pose surtout des questions techniques sur la mise en œuvre, les modalités de contrôle et les éventuels droits à l’erreur des agriculteurs.

tableau 1

tableau 2

Que nous révèle ce tableau ? D’abord que malgré les déclarations faites par les divers membres du Conseil, la future PAC ne se réforme pas de manière radicale. Si on regarde le verre à moitié vide, on peut se dire que les débats sur les pourcentages de budget à flécher sur l’environnement et le climat montrent que c’est encore très largement la logique du soutien au revenu qui l’emporte sur l’urgence environnementale. Si on regarde le verre à moitié plein, on peut espérer que le new delivery model permettra d’ajuster mieux les mesures proposées aux contraintes et aux besoins locaux et donc à améliorer l’efficacité environnementale des dépenses de la PAC. Mais tout ceci dépend bien sûr de l’interprétation des Etats membres qui est elle-même le résultat du marché politique interne entre ceux qui défendent de nouveaux modèles agricoles plus durables et ceux qui argumentent en faveur de la compétitivité et de la vocation nourricière de l’Europe.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui annoncent que la future PAC telle qu’elle est en train de se finaliser ne pourra pas permettre de répondre aux enjeux de la stratégie de la Ferme à la fourchette. Et qu’il faut donc remettre l’ouvrage sur le métier. Une mini crise diplomatique a été créée ainsi le 16 novembre dernier par Frans Timmermans, Vice Président de la Commission en charge du Green Deal, qui a appelé à reprendre le projet de PAC, suscitant ainsi l’exaspération des membres du Conseil. Ce qui est sûr, c’est que les enjeux environnementaux ont capturé le débat. Les questions liées à une distribution plus équitable des aides, susceptible de soutenir un modèle d’agriculture agro-écologique et paysan, la promotion de l’action collective des agriculteurs (voir à ce sujet les propositions pour le soutien à l’agriculture de groupe) ou les problématiques de l’installation restent en arrière-plan.

 

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