La crise du porc a occupé la scène médiatique française durant ce mois d’août et Stéphane Le Foll, Ministre de l’agriculture, a beau multiplier les séances de conciliation entre producteurs et transformateurs, c’est finalement le marché qui fait sa loi. Ces tensions étaient-elle prévisibles ?
Par la nature même de son marché, le prix du porc fait régulièrement face à d’importantes fluctuations. Le marché du porc est l’exemple classique donné par les professeurs d’économie lorsqu’ils souhaitent illustrer les méfaits du « cycle de cobweb » : quand les prix sont favorables, les producteurs investissent pour augmenter leur capacité d’offre ce qui provoque quelques mois ou quelques années plus tard un excès d’offre qui ne se résorbe que par une baisse des prix qui laisse les plus fragiles face à des marges négatives. De plus, le secteur porcin européen fait face à des difficultés externes qui renforcent ces fluctuations : réduction lente mais inexorable de la consommation dans les pays développés, augmentation de la production porcine aux Etats-Unis (+4,8% entre 07 et 09) et au Brésil (+6,4%sur la même période), et plus récemment l’embargo russe qui a fermé un débouché important.
L’augmentation de l’offre est flagrante depuis plusieurs années et aboutit aujourd’hui à une crise de surproduction et à une chute des prix du porc européen et français payés aux producteurs.
(issu de la note de conjoncture de mars 2015 – Marché du porc breton – MPB).
Aujourd’hui les éleveurs de porc français veulent se voir garantir un prix d’au moins 1,40 €/kg pour pouvoir couvrir leurs coûts de production. Pourquoi, malgré les rappels à l’ordre du ministre, les transformateurs ne sont-ils pas prêts à payer ce prix ? Pourquoi la société Bigard ou la coopérative Cooperl, pourtant la propriété de ses 2 100 adhérents éleveurs, pratiquent-ils la politique de la chaise vide sur le marché au cadran de Plérin ? Parce qu’ils doivent vendre leurs produits transformés sur un marché ouvert et qu’ils savent que la concurrence sur le marché européen est féroce : spécialisation (par exemple spécialisation de l’Allemagne pour l’engraissement et l’abattage en raison de coûts salariaux de l’abattage-découpe très bas), amélioration des performances techniques, grandes structures et concentration de la production pour bénéficier d’économies d’échelle (principalement en Espagne ou au Danemark, où en moyenne les exploitations comptent 2 600 porcs contre 620 en France).
Le secteur du porc français, lui aussi, s’est concentré. La Bretagne regroupe 56% des porcs du pays et le nombre d’éleveurs a diminué de moitié. Les règles environnementales en France ne sont pas plus strictes que dans les autres pays membres de l’UE puisqu’elles répondent aux mêmes Directives européennes. Mais les élevages français n’ont pas le foncier suffisant pour s’agrandir tout en assurant des épandages qui respectent les normes et ils font face à une opinion publique plus que réticente face aux très grandes structures.
Le gouvernement français a proposé fin juillet un plan d’urgence offrant la possibilité aux éleveurs les plus en difficulté d’une prise en charge par l’Etat des charges financières ; d’une restructuration des dettes ou encore l’accès à des crédits bancaires (voir l’actualité précédente). Ces remèdes de moyen terme sont classiques et dégainés à chaque crise. Ils peuvent certes aider les éleveurs à faire face à la crise actuelle, mais ne règlent pas le problème en profondeur.
La solution est-elle donc, comme le réclament certains professionnels de la filière, de mettre en place un prix « rémunérateur » qui couvre les charges ? Au-delà du fait que le prix est aujourd’hui fixé sur le marché, revenir à un système de prix garanti indexé sur les coûts de production reviendrait à inciter un nombre croissant d’agriculteurs à investir dans la production de porc, sans se soucier des débouchés. L’Europe a connu cette situation sur le lait et les céréales dans les années 70 et 80 n’est pas prête à revenir en arrière, à moins effectivement de réguler la production et d’instaurer un système de quotas à l’image de nos quotas laitiers, démantelés en mars dernier, après 30 ans d’existence. Limiter et répartir la production entre Etats-membres serait un moyen de résoudre durablement le problème récurrent du porc mais ce type de politique est en contradiction totale avec le discours des syndicats agricoles dominants qui répètent si souvent que l’Europe se doit de nourrir le monde.
Devrait-on réinstaurer des barrières tarifaires à l’entrée de l’Europe pour renchérir le prix du porc importé ? Cette solution n’est pas si facile à mettre en œuvre dans le cadre de nos engagements à l’Organisation Mondiale du Commerce et, même si on peut imaginer à terme qu’elle pourrait mettre l’industrie du porc européenne à l’abri de la future concurrence du Brésil ou de certains pays asiatiques, elle ne résout en rien les tensions intra-européennes.Aujourd’hui, on raisonne beaucoup sur les moyens de redonner aux producteurs français de la compétitivité face aux autre producteurs européens. Par exemple, le Sénat mène actuellement une réflexion sur une baisse des charges, dont les conclusions seront disponibles en fin de semaine.
Mais, il faut peut-être penser différemment et accepter de repenser notre modèle de production. Pourquoi suivre les organisations professionnelles qui préconisent d’intensifier toujours plus pour se placer sur le marché international des production standardisées ? Il semble bien que cette voie soit une impasse. Il se trouvera toujours des pays pour produire moins cher. Alors il faudrait envisager de vendre moins en volume et plus en qualité. L’exemple de la réforme qualitative du vignoble méridional montre que l’évolution structurelle et le repositionnement des produits sur le marché sont possibles, avec l’aide des outils financiers de la PAC. Peut-on davantage s’orienter et soutenir la production de qualité dans le porc? Les démarches de qualité pour la viande de porc existent (le Porc Français, Label rouge, Agriculture biologique) mais restent marginales.Certes, elles imposent des normes plus strictes et donc des coûts de production plus élevés mais elles peuvent assurer des prix plus élevés et surtout plus stables dans une niche préservée des soubresauts de la concurrence internationale. Elles pourraient se combiner avec des contrats de commercialisation de long terme avec les transformateurs et s’appuyer à terme sur la réputation qu’un porc français de qualité pourrait construire auprès des consommateurs européens.
Pour en savoir plus…
Localisation et dynamiques de concentration des productions animales en Europe : état des lieux et facteurs explicatifs (C. Roguet, C. Gaigné, V. Chatellier, S. Cariou, M. Carlier, R. Chenut, K. Daniel, C. Perrot) (2015)
Note de conjoncture filière porcine – France Agrimer (2014)
Evolution des modèles d’élevages de porcs dans lFixer le prix du porc par contrat Expériences à l’étranger et enseignements pour la France (E. Antione, H. Marouby, M. Rieu) – 2014
Lecole Pauline et Thoyer Sophie